- ICONOSTASE
- ICONOSTASEICONOSTASEPour les contemporains, l’iconostase évoque cet imposant dressoir d’images saintes qui, dans les communautés orthodoxes de souche gréco-byzantine, isole le fidèle de l’espace sacré par excellence, le sanctuaire. Dans l’usage originel, eikonostasion définissait le support, sur pied ou en console, d’une icône privilégiée, disposée en avant de l’entrée du chœur. Le meuble existe du reste toujours avec la même affectation, et le même nom. L’élargissement de l’acception — d’un reposoir d’icône à une muraille d’images — est venu de Russie, dans le sillage de la mutation qu’il implique.L’église paléochrétienne ne connaît, entre la nef et le sanctuaire, qu’une clôture assez basse. Celle-ci, dans sa version la plus élaborée, consiste en un chancel, tantôt plein, tantôt à claire-voie (réelle ou simulée), qui vient à hauteur de poitrine. Ses panneaux ou ses interstices sont ponctués par des colonnettes réunies au sommet par une architrave. La paire de colonnettes centrales délimite l’encadrement d’un portillon à deux vantaux, les «portes royales» ou «saintes», réservées au célébrant. Assez précocement, deux autres entrées furent ménagées, l’une sur la droite pour le diacre, l’autre sur la gauche pour les clercs inférieurs. Bref, l’ensemble constitue une alternance de panneaux et de vides entre colonnettes. Un rideau enfin est prévu pour aveugler le sanctuaire au moment le plus solennel de la liturgie (ce rideau est demeuré la seule clôture de chœur des églises arméniennes). Les éléments pleins, chancel et entablement, peuvent être relevés de motifs décoratifs ou de représentations de personnages sacrés en buste. Ce dispositif architectural a reçu, dès l’Antiquité, des noms variés: templon, diastyles, treillage ou chancel, voile et, beaucoup plus tard, iconostase.Cette description permet d’imaginer grossièrement la configuration du templon de la Sainte-Sophie de 563. À cette époque, le templon, parfois de marbre ou de pierre, à l’occasion rehaussé d’argent comme à Sainte-Sophie, était le plus souvent en bois ou en maçonnerie.Au XIe et au XIIe siècle, le templon aéré et muet commence à se transformer en une iconostase opaque et parlante. Ce changement impose les deux ou trois constantes du futur décor. L’Annonciation, fréquemment représentée sur l’arc qui surplombe l’entrée du sanctuaire, émigre sur les vantaux des portes royales, la Vierge à droite, Gabriel à gauche. Progrès beaucoup plus décisif, la composition dite de la Déisis («supplication» de Marie et du Prodrome au Christ qu’ils flanquent), dont la place courante était sur l’arc d’entrée de l’abside, vient couronner le templon en son centre. Bientôt, la Déisis s’agrégera le groupe des fêtes, déjà attesté comme autonome; six fêtes sont représentées de part et d’autre: la Nativité de la Vierge, sa Présentation, l’Annonciation, la Naissance de Jésus, sa rencontre avec Syméon, son Baptême, la Transfiguration, les Rameaux, l’Ascension, la Pentecôte, la Dormition de la Vierge, l’Exaltation de la Croix. Peu à peu, des images peintes sur les piliers entre lesquels s’insère le templon se recentrent sur la clôture du chœur, de même que des icônes mobiles, exposées chacune sur son «iconostase» individuelle. C’est ainsi que finalement trouvent place: à la droite des portes royales, le Christ et le titulaire de l’église; à gauche, la Mère de Dieu et un saint en particulier honneur, le Prodrome ou encore saint Nicolas.À cette phase du développement de l’iconostase, les membrures du templon demeurent relativement distinctes. La planche continue sur laquelle sont distribuées les scènes des fêtes autour de la Déisis est suspendue à l’architrave et les personnages isolés sont figurés à mi-corps. D’autres formules sont possibles: peinture sur entablement profilé des templa en maçonnerie; sculpture, en revanche, quand le matériau est plus noble. De cette époque n’ont survécu que des fragments. Un point reste acquis: cette formule empreinte de sobriété est en vigueur jusqu’à la chute de Byzance (1453), malgré l’invasion sporadique de ce canevas encore harmonieux par des sujets parasites — cycles de saints —, sous la pression de dévotions locales.Le passage irréversible du templon à l’iconostase se situe en Russie à la charnière du XIVe et du XVe siècle. L’abondance du bois favorise le développement d’architectures géantes sur lesquelles de grands artistes dressent des personnages ou des scènes de dimensions jamais imaginées avant eux. Ainsi en fut-il de l’iconostase de l’Annonciation du Kremlin, à laquelle travaillèrent, dans la première décennie du XVe siècle, Théophane le Grec et Andreï Roublev. L’invasion de thèmes libres se confirme sans jamais annuler les grandes constantes. Le sanctuaire enfin est pratiquement muré.La nouvelle version, le gigantisme en moins, affectera toute l’orthodoxie gréco-slave, notamment grâce au relais des monastères de l’Athos. Cette évolution s’accompagne d’ailleurs d’un étalage de richesse, d’une sophistication baroque du travail du bois, sous l’influence austro-hongroise, d’une prolifération de sujets périphériques.Des manuels de peinture aussi bien que de la statistique on peut désormais induire l’illustration idéale d’une iconostase «classique». Celle-ci comporte quatre ou cinq registres: en bas, outre l’Annonciation des portes saintes, les quatre personnages déjà mentionnés; au-dessus, les apôtres disposés de part et d’autre de la Déisis; plus haut, les grandes fêtes; au quatrième niveau, les prophètes; enfin, dominant le tout, la scène du crucifiement.On grève souvent le dispositif de l’iconostase de toutes sortes de significations historiques ou symboliques. Retenons que l’iconostase n’est pas, comme le disent encore certains ouvrages, un mémorial de la victoire des images en 843; elle s’est affirmée beaucoup plus tard. Elle est une exploitation didactique (consistant à raconter le cycle du salut selon ses temps forts) d’un élément architectural qui avait lui-même sa valeur sacrée, celle-ci étant plus abstraite.Plutôt que de s’égarer dans le déchiffrement de symbolismes a posteriori, il conviendrait d’explorer les ressorts spirituels effectifs de la transformation du templon. La réflexion des penseurs orthodoxes contemporains est prometteuse à cet égard. Ils conviennent que l’iconostase s’est hypertrophiée, que, partant d’une illustration élémentaire (la Déisis, l’Annonciation, la représentation du Christ et celle de sa Mère) favorable au recueillement, elle a dégénéré en un facteur de dispersion. Ils déplorent plus encore qu’elle ait «transposé entre clercs et laïcs la tension entre l’Église et le monde» (P. Evdokimov) et contrarié l’unanimité de la prière eucharistique.• 1843; russe ikonostas, gr. eikonostasion, de eikôn « icône » et stasis « action de poser »♦ Didact. Dans les églises orthodoxes, Cloison décorée d'images, d'icônes, qui sépare la nef du sanctuaire où le prêtre officie. « L'iconostase, haute muraille de vermeil à cinq étages de figures » (Gautier).⇒ICONOSTASE, subst. fém.[Dans une église de rite oriental] Cloison à trois portes décorée d'icônes fermant le chœur où officie le prêtre à la consécration. Iconostase d'une église russe. Il entre (...) dans l'église bombardée. Il y trouve, parmi les ruines du toit, les saints arrachés de l'iconostase (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 156).Rem. Le terme est empl. au masc. par certains écrivains. Un ancien iconostase russe en argent niellé (HUYSMANS, Là-bas, t. 2, 1891, p. 24).Prononc. et Orth. : [
]. WARN. 1968 : [-
]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1822 ikonostas (LYALL, Voy. en Russie in Hist. universelle des voy., vol. 44, 357 [Passot et Poucet] ds QUEM. DDL t. 7); 1843 iconostase (X. MARMIER, La Russie in R. des deux mondes, vol. 1, 1078, ibid.). Empr. au russe ikonostas, gr. tardif
(cf. VASMER, Greko-slavjanskije Etjudy, St Pétersbourg, 1909, vol. 86, p. 66, s.v. ikona) dér. du gr.
, v. icône1 et
« action de poser debout », « ce qu'on pose debout »; cf. la forme iconastus (1786, P. H. MALLET, trad. : W. COXE, Voy. en Pologne, Russie, Suède, 272-3 ds QUEM. DDL t. 7). Bbg. QUEM. DDL t. 4, 7, 9.
iconostase [ikɔnɔstɑz] n. f.ÉTYM. 1843, X. Marmier; ikonostas, 1822, in D. D. L.; iconastus, 1786, in D. D. L.; russe ikonostas, n. m., du grec eikôn (→ 1. Icône), et stasis « action de poser ».❖♦ Didact. Dans les églises orthodoxes, Cloison décorée d'images, d'icônes, qui sépare la nef du sanctuaire où le prêtre officie.1 L'iconostase, haute muraille de vermeil à cinq étages de figures (…) éblouit l'œil par sa fabuleuse magnificence. À travers les découpures de l'orfèvrerie, les mères de Dieu, les saints et les saintes passent leurs têtes brunes et leurs mains aux tons de bistre (…) Quel beau motif de décoration que ces iconostases, voile d'or et de pierreries tendu entre la foi des fidèles et les mystères du Saint-Sacrifice !Th. Gautier, Voyage en Russie, XVII, p. 276.♦ Par ext. Rassemblement d'icônes.2 Sa chambre (…) rappelait assez les intérieurs des pieuses isbas, éclairés par de perpétuelles lampes allumées devant les figures propices des iconostases.Léon Bloy, le Désespéré, p. 172.
Encyclopédie Universelle. 2012.